Quand l’étude des matériaux constitutifs mène au diagnostic : cas de la problématique soulevée par quelques peintures de Pierre Soulages.
Auteurs : Pauline Helou – de La Grandière (restauratrice du Patrimoine, spécialité Peinture) ; en collaboration avec Anne-Solenn Le Hô (C2RMF), Marie-Claude Corbeil (ICC) et François Mirambet (LRMH).
Le poster présente la synthèse des études menées de 2005 à 2008[1] sur les peintures de Pierre Soulages souffrant d’une même altération, où on observe la séparation nette de la couche picturale à la surface de la préparation industrielle. La couche picturale appliquée par Soulages est une peinture à l’huile (liant oléo-résineux, pigments naturels de forme habituelle) ; elle se rétracte et s’enroule sur elle-même, laissant indemne la préparation sous-jacente, composée de blanc de plomb.
Les analyses ont été faites dans 4 laboratoires (C2RMF, ICC, INP, LRMH) sur des œuvres conservées dans des collections publiques, nécessitant une intervention de conservation-restauration. Elles sont récapitulées dans le tableau ci-dessous :
Pour ces œuvres, toutes datées de 1959[2], Pierre Soulages avait choisi une préparation grasse, composée de plusieurs couches de céruse, pour son caractère « gras » et non poreux : il se fournissait alors chez Lefebvre-Foinet (Paris, rue Vavin). Parce que Soulages avait évoqué un problème de porosité dans ses préparations à cette époque, et parce que c’est à la surface de la préparation que la perte d’adhérence se créée systématiquement, nous avons focalisé nos analyses sur la préparation et les premières couches picturales à son contact. Les résultats obtenus ont montrés une présence de carboxylates de plomb (notamment palmipate de plomb), en proportion inhabituelle, dans la couche de préparation, mais aussi, et parfois surtout, dans la première couche de peinture, directement au contact de la préparation.
Les analyses de la préparation ont permis d’identifier la présence d’un mélange de dicarbonate dihydroxyde de triplomb (équivalent à l’hydrocérusite synthétique) et de tricarbonate dihydroxide oxyde de pentaplomb : ce composé possède une structure lamellaire et semble être récurrent dans les préparations Lefebvre-Foinet (Corbeil, Sirois 2007 : 285). La présence de carboxylates de plomb dans les couches où se situe le défaut d’adhérence nous laisse penser que les savons métalliques (autant par leur nature que par leur comportement) jouent un rôle important dans le délaminage des couches picturales ; nous remarquons d’autre part que la présence de ces savons métalliques n’a pas été prise en compte jusqu’ici dans les opérations de consolidation et de refixage des œuvres.
Cette étude, allant au-delà d’une étude de matériaux constitutifs, a permis d’identifier des composés d’altération ; ainsi, outre le diagnostic, de nouvelles perspectives de traitement sont envisageables ; les carboxylates de plomb possédant une solubilité, une Tg et un pH différents d’une peinture à l’huile vieillie, leur prise en compte comme élément constitutif de la stratigraphie de l’œuvre permet d’envisager à nouveau un traitement curatif efficace à long terme.
Références :
Helou – de
Helou – de
Corbeil M-C. Sirois P.J., « A Note on a Modern Lead White, Also Known as “Synthetic Plumbonacrite” », Studies in Conservation, Vol.52, 2007, pp. 281-288.
[1] Etudes menées de 2005 à 2008, dans le cadre d’une recherche à l’Institut national du Patrimoine puis grâce au soutien du Centre national des Arts Plastiques, qui ont donné lieu à deux articles précédents : « La restauration de Peinture, 114 ×
[2] D’autres œuvres antérieures (1953) ou postérieures (1960) souffrent du même type d’altération, mais elles n’ont pas fait l’objet d’une étude systématique comme pour les œuvres de 1959.