Traitement d'urgence d'une réserve affectée par des moisissures


A la suite d'une panne de sonde d'un humidificateur pendant 2 jours, l'humidité relative d'une réserve de musée a atteint pendant plus de 30 heures un taux d'humidité très élevé, provoquant le développement moisissures sur au moins 80 peintures sur toile, leur cadre, les panneaux de bois et les pastels ;

Nous sommes intervenus dans la réserve en suivant la méthodologie suivante :
  1. Identification de l’infection : La cause étant attribuée au système de climatisation et étant en cours de traitement au moment de notre intervention, la connaissance de la nature et du degré d’activité des spores en présence était la première étape d’intervention.
  2. Dépoussiérage : les poussières étant des substrats nutritifs pour les moisissures, et le mycélium étant un frein au traitement fongicide, un dépoussiérage des œuvres les plus affectées est imposé.
  3. Traitement antifongique : grâce à la connaissance de la nature de l’infection, un traitement adapté peut être établit ; seules les œuvres dont l’infection est active et qui peuvent être traitées sans risque pour leur intégrité sont traitées.
  4. Proposition d’un protocole pour conduire vers la décontamination totale.
Voici un compte rendu rapide de cette mission :

1. Prélèvement des spores :

Ce prélèvement est fait en décrivant l'aspect du mycélium, avec photographies avant/après sous loupe. L'écouvillon stérile utilisé est envoyé au laboratoire de microbiologie qui en fait une culture pour identifier le genre, et donne ensuite un protocole de traitement adapté.




2. Dépoussiérage : cette intervention a été réalisée grâce au précieux concourt d'Agata Graczyk,  élève-restaurateur à l'Institut national du Patrimoine et Philippe Letourneux. Les aspirateurs sont munis de filtres Hepa, les dépoussiérages sont réalisés dans une pièce dédiée (sauf peintures non transportables), avec protections intégrales (les spores sont toxiques et très contaminantes : les protections sont enlevées dans un sas pour éviter de contaminer le reste du musée).
Dépoussiérage en cours : pinceaux et brosses sont nettoyés, désinfectés et séchés après chaque oeuvre traitée.


3. Traitement antifongique :
 Les oeuvres ont été traitées au nitrate d'éconazole (prescriptions de Caroline Laffont, qui a mené les analyses à la BNF). Des solutions d'éconacide aqueuses ou alcooliques ont été utilisées en fonction de la fragilité des oeuvres ; le mise en oeuvre a été variable, au pinceau, au tampon, ou par pulvérisation.
Traitement antifongique en cours
Le traitement antifongique contenant une part d'alcool, il peut y avoir une régénération partielle des chancis :
Avant traitement
Après traitement (le chancis est ancien et profond)

4. Préconisations futures : pour l'ensemble de la réserve ;

Certaines oeuvres sont plus problématiques, c'est le cas des pastels, et des oeuvres contemporaines, assimilées à des textiles, où les thalles des mycéliums se sont incrustés dans la trame, la décolorant.
Détail de développement de moisissures

Développement de moisissures sur une toile contemporaine

Chaque oeuvre traitée est étiquetée pour évaluer rapidement l'efficacité du traitement 4 à 5 semaines plus tard.
Etiquetage des oeuvres traitées pour une identification des nouvelles infections plus rapide.

Détail avant traitement
Même détail après traitement.
Protection des intervenants (et prévention de la dispersion des spores)
Infection généralisée sur toute la surface de l'oeuvre


Après dépoussiérage et traitement antifongique (2 passages)
détail avant

Même détail après traitement.






Quelques notions de microbiologies :

Les moisissures sont des champignons où l’organe végétatif (le thalle) est composé de filaments ramifiés (les hyphes) : l’ensemble constitue le mycélium. Cet appareil végétatif permet la croissance et le développement des moisissures, qui se nourrissent d’azote, de carbone et de quelques ions tels que le potassium, mais leur développement dépend surtout de l’humidité et de la température :

L'humidité relative minimum pour que commencent à se développer les premières moisissures peu nombreuses, (on les appelle xérophiles), est de 65-70 % ; mais si l'humidité augmente, des moisissures différentes et très nombreuses se développent (vers 80-90%).

Le risque de germination est présent à partir d’une humidité relative de 60 %, mais une fois la germination enclenchée, le développement peut se poursuivre à des taux inférieurs à 60 % HR. La seule façon d'éviter le développement de contaminants fongiques est de maintenir une hygrométrie faible dans l'environnement. (sources : Roquebert 1997 et Laffont, Mouren 2005 )


C'est la raison pour laquelle nous nous sommes attelés à mesurer le climat et à mettre en évidence des disfonctionnements (la sonde de climatisation n'indique pas les mêmes données que les prises de climat dans la pièce).
















Après analyse : Tapis de Penicillium sp






Après analyse : Tapis d' Eurotium (moisissure xérophile : premières moisissures à se développer lors d'un déséquilibre climatique ( parfois dès 60% HR ))