Quand l'étude des matériaux constitutifs mène au diagnostic

Poster présenté au colloque art d'Aujourd'hui, Patrimoine de demain (SFIIC-INP 24-26 juin 2009).


Auteurs : Pauline Helou – de La Grandière (restauratrice du Patrimoine, spécialité Peinture) ; en collaboration avec Anne-Solenn Le Hô (C2RMF), Marie-Claude Corbeil (ICC) et François Mirambet (LRMH).

Le poster présente la synthèse des études menées de 2005 à 2008[1] sur les peintures de Pierre Soulages souffrant d’une même altération, où on observe la séparation nette de la couche picturale à la surface de la préparation industrielle. La couche picturale appliquée par Soulages est une peinture à l’huile (liant oléo-résineux, pigments naturels de forme habituelle) ; elle se rétracte et s’enroule sur elle-même, laissant indemne la préparation sous-jacente, composée de blanc de plomb.

Les analyses ont été faites dans 4 laboratoires (C2RMF, ICC, INP, LRMH) sur des œuvres conservées dans des collections publiques, nécessitant une intervention de conservation-restauration. Elles sont récapitulées dans le tableau ci-dessous :


Pour ces œuvres, toutes datées de 1959[2], Pierre Soulages avait choisi une préparation grasse, composée de plusieurs couches de céruse, pour son caractère « gras » et non poreux : il se fournissait alors chez Lefebvre-Foinet (Paris, rue Vavin). Parce que Soulages avait évoqué un problème de porosité dans ses préparations à cette époque, et parce que c’est à la surface de la préparation que la perte d’adhérence se créée systématiquement, nous avons focalisé nos analyses sur la préparation et les premières couches picturales à son contact. Les résultats obtenus ont montrés une présence de carboxylates de plomb (notamment palmipate de plomb), en proportion inhabituelle, dans la couche de préparation, mais aussi, et parfois surtout, dans la première couche de peinture, directement au contact de la préparation.

Les analyses de la préparation ont permis d’identifier la présence d’un mélange de dicarbonate dihydroxyde de triplomb (équivalent à l’hydrocérusite synthétique) et de tricarbonate dihydroxide oxyde de pentaplomb : ce composé possède une structure lamellaire et semble être récurrent dans les préparations Lefebvre-Foinet (Corbeil, Sirois 2007 : 285). La présence de carboxylates de plomb dans les couches où se situe le défaut d’adhérence nous laisse penser que les savons métalliques (autant par leur nature que par leur comportement) jouent un rôle important dans le délaminage des couches picturales ; nous remarquons d’autre part que la présence de ces savons métalliques n’a pas été prise en compte jusqu’ici dans les opérations de consolidation et de refixage des œuvres.

Cette étude, allant au-delà d’une étude de matériaux constitutifs, a permis d’identifier des composés d’altération ; ainsi, outre le diagnostic, de nouvelles perspectives de traitement sont envisageables ; les carboxylates de plomb possédant une solubilité, une Tg et un pH différents d’une peinture à l’huile vieillie, leur prise en compte comme élément constitutif de la stratigraphie de l’œuvre permet d’envisager à nouveau un traitement curatif efficace à long terme.

Références :

Helou – de La Grandière P. « La restauration de Peinture, 114 × 165 cm, 16 décembre 1959 de Pierre Soulages », in Patrimoines, n°2, 2007 ;

Helou – de La Grandière P. Le Hô A-S., Mirambet F., « Cleavages in paintings by Pierre Soulages at the end of 1950’s: a case study», Contribution pour la conférence : Preparation for Painting: the artist’s choice and its consequence, Icom-CC Groupe Peinture, 31 mai-1er juin 2007, British Museum, Londres. (Edition Archetype, 2008).

Corbeil M-C. Sirois P.J., « A Note on a Modern Lead White, Also Known as “Synthetic Plumbonacrite” », Studies in Conservation, Vol.52, 2007, pp. 281-288.




[1] Etudes menées de 2005 à 2008, dans le cadre d’une recherche à l’Institut national du Patrimoine puis grâce au soutien du Centre national des Arts Plastiques, qui ont donné lieu à deux articles précédents : « La restauration de Peinture, 114 × 165 cm, 16 décembre 1959 de Pierre Soulages », in Patrimoines, n°2, 2007 ; et « Cleavages in paintings by Pierre Soulages at the end of 1950’s: a case study», Contribution pour la conférence : Preparation for Painting: the artist’s choice and its consequence, Icom-CC Groupe Peinture, 31 mai-1er juin 2007, British Museum, Londres. En collaboration avec Anne-Solenn Le Hô et François Mirambet. (Edition Archetype, 2008).

[2] D’autres œuvres antérieures (1953) ou postérieures (1960) souffrent du même type d’altération, mais elles n’ont pas fait l’objet d’une étude systématique comme pour les œuvres de 1959.

Dérestauration du portrait de femme (Ecole française XVIIIe s.)

Retour sur le traitement du Portrait de Femme, Ecole française, XVIIIe siècle.





Pour mesurer le degré d'oxydation et la nature de la résine de vernis à supprimer, nous avons effectué un test de solubilité (ci-dessous).
Le vernis, très épais, a dû être supprimé à l'aide de gels. Son épaisseur était telle qu'il réalisait une sorte d'inclusion de la couche picturale : les déformations des écailles étant situées sous le vernis, supprimer l'ensemble de cette couche est devenu essentiel afin de retrouver un niveau de couche picturale plan.
Les tests de solubilité ont aussi permis de voir l'étendue des repeints. Ces repeints on pû être solubilisés aux solvants organiques, mais ils étaient situés la plupart du temps sur un mastic à la céruse très dur, qui a été supprimé par voie mécanique (scalpel), tout en alternant avec des refixages localisés dans les zones fragiles.



Détail en cours de dérestauration : une fois le vernis et les repeints supprimés, un mastic blanc à la céruse est visible : il est situé sur d'importantes surfaces de peinture originale.




Après ces opérations très longues et très minutieuses, nous avons réalisé un ultime cartonnage, qui a permis de retrouver un niveau plan satisfaisant.
L'oeuvre a enfin été remontée sur un châssis ovale neuf, après avoir renforcé son revers de bandes de tension et d'une pièce (pour la déchirure).









Bonne année 2010

Pauline de La Grandière, et l'Atelier du Patrimoine

vous souhaitent une très belle année 2010




22 JANVIER 2010, 14h30-15h00 :

Pauline de la Grandière : Restaurer les tableaux de Soulages de la fin des années 1950

15h00-15h30 : Estelle Pietrzyk (Musée de Strasbourg) : Soulages graveur

15h30-16h00 : Benoit Decron (Musée Soulages, Rodez) : Soulages « dessinateur »

Ensemble du programme sur :

http://intru.univ-tours.fr/spip.php?article53

Restauration du Portrait d'une jeune fille de Rome 1823

BODINIER : Jeune fille vue de dos Rome 1823



La toile porte une inscription antérieure à la tension de celle-ci sur le châssis : au crayon de papier, on lit « 27 février 1823 ». Un mot est rayé, et le chiffre « 6 » est inscrit au centre de la toile (sous la traverse du châssis : ce chiffre correspond au format de l’œuvre : 6 Figure).

Le châssis porte quelques inscriptions manuscrites : « milieu n°50 » et « Salle Bodinier » ; sur le montanat supérieur, la mention « Angers 1860 » est inscrite au crayon de papier (une partie est effacée). Enfin, sur la traverse centrale est écrit à l’encre : « Jeune fille de Rome, 1823, G.B. »

Une étiquette, datant du legs Bodinier au Musée des Beaux Arts d’Angers, est collée sur la surface picturale. Elle porte le n°12. L’adhésif utilisé pour coller cette étiquette est très contraignant : il entraîne des déformations de couche picturale et de support,ainsi que des craquelures et soulèvements.

La restauration consiste à enlever cette étiquette, dépoussiérer et décrasser l’œuvre, supprimer les traces de cire au revers.



BODINIER : Le joueur de Cornemuse - Traitement du support toile et de la couche picturale






Cette oeuvre souffre de nombreuses déformations du support, liées à un défaut d'attache sur le châssis et des déchirures (en rouge sur le schéma, déformations en bleu). Elle a subit un dégât des eaux qui a déformé le support d'une part, et altéré la surface picturale (chancis, lessivage de la couche picturale mate).













Décrassage avec un gel de carbopol basique contenant du trammonium citrate à 2%

Traitement d'un Trumeau XIXe





Les trumeaux du XIXe comme dessus de cheminée représentant une scène de genre ou une scène religieuse sont assez nombreux et correspondent toujours à la même technique : toile grossière, préparation fine, technique picturale en demi-pâte.

La toile est tendue sur le cadre du trumeau lui-même, qui possède une traverse médiane. Les dimensions sont souvent semblables (108 x 66 cm pour la toile seule, 130 cm de hauteur pour le trumeau entier). Pour nous, les mêmes altérations sont également constatées : problèmes de tension liés au mode de montage, réseau de craquelure en escargot très prononcé avec amorce de soulèvements, vernis très oxydé à résine polysaccharidique.

Il semblerait qu'une production intensive, semblable à la production de tableaux-horloges se soit développée autour de 1830-1850. Ce type d'objet décoratif, adapté au format des appartements parisiens a connu un engouement important sous Napoleon III.





Notre trumeau représente une scène galante, où un homme, certainement dans une barque, tends sa main à une femme pour l'emmener à l'hôtel du Lion d'Or (le Lit où on dort) situé sur l'autre rive du lac. Là encore, il semblerait que cette scène soit souvent représentée puisque nous en avons retrouvé un autre exemple sur un trumeau similaire.
Les deux tableaux reprennent la même composition : repoussoir au premier plan, donné par le chemin emprunté par la jeune femme qui se dirige vers le plan central (la rencontre avec l'homme sur sa barque), à l'arrière plan, le Lion d'Or est un bâtiment avec une tour : sur le pas de la porte, une femme se tiens prête à accueillir le couple. Si l'exécution est très différente, la citation est strictement la même.



***


L'oeuvre souffre d'un défaut de tension, d'une amorce de soulèvement, avec un réseau de craquelure très marqué. L'encrassement et l'oxydation du vernis est très important.



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Intervention :


L'oeuvre a été protégée pour son démontage (papier japonais / colle de pâte diluée), démontée de son cadre (traité par ailleurs) et tendue sur un panneau provisoire par le biais d'un cartonnage effectué au papier kraft pour obtenir une bonne planéité.




Démontage





Cartonnage

Une fois le cartonnage démonté, nous avons effectué un test de solubilité du vernis, puis solubilisé progressivement ce vernis.

tests de solubilité du vernis : le vernis est à base de polysaccharide et de résine naturelle.









La reprise des déformations du réseau de craquelure a due être complétée par un refixage à la colle de peau diluée effectué par la face, sous un cartonnage partiel (papier de soie) :

Des bandes de tension sont ensuite ajoutées en périphérie : elles aideront à retendre l'oeuvre sur un châssis à clé sur-mesure.

Les bandes de tension sont collées avec un adhésif acrylique (Plextol B500).

L'oeuvre est tendue sur le châssis, puis le trumeau est remonté dans son cadre, avec de nouveaux systèmes d'attache, inoxydables et démontables.











Cloques et soulèvements dans un portrait oval du XVIIIe siècle : Traitement







Avant interventions

Après allègement du vernis







Ce portrait d'homme, ainsi que son pendant (le portrait de femme) ont été rentoilés anciennement. Cette ancienne intervention a été plus interventionniste pour le portrait de femme, pour lequel un nettoyage drastique a été effectué : les glacis, qui donnent le volume aux chaires et aux drapés ont été supprimés avec le vernis original, donnant un aspect plat et froid au portrait. De nombreux repeints maladroits sont visibles à l'oeil nu. Le portrait d'homme n'a pas été dévernis, mais revernis. Ce vernis à base de résine naturelle (Mastic ou Dammar) est épais et oxydé.




















Les deux rentoilages ont été effectués à la colle de pâte (tradition francaise : mélange de farines et de colles animales assurant souplesse et adhérence). Les toiles ont été tendues sur des châssis ovales à clés. Pour les deux tableaux, des faiblesses de rentoilage sont visibles : elles provoquent des déformations de toile.







Le portrait d'homme présente par ailleurs de nombreuses cloques : la couche picturale se soulève en forme de cloche : cette altération provoque de nombreuses lacunes, laissant visible la toile originale et sa préparation rouge. Ce portrait a également été retouché dans de nombreux endroits.






Notre intervention vise à redonner une bonne adhérence à la couche picturale, à supprimer les défauts de planéité et redonner un aspect général satisfaisant.





La couche picturale est refixée à la colle d'esturgeon, les déformations de toile sont réduites par apport d'humidité et nouvelle tension sur le châssis.







Un dépoussiérage du revers, un décrassage au Tri-ammonium citrate à 3% de la surface peinte, sont effectués sur les deux tableaux. Le vernis du portrait d'homme est ensuite allégé pour retrouver une concordance de ton entre les portraits formant la paire.






L'allègement est réalisé avec un mélange contenant 63% d'isopropanol, 6% d'acétone et 31% d'essences minérales (Fd=58).



Restauration en cours : La reprise de déchirure et le traitement du support du Portrait de femme (Ecole française 18e)

Renvoyons au message du 16 février 2009 pour la description du tableau dont il est question : un très joli portrait peint à l'huile sur toile sur un châssis oval souffrant d'une amorce de soulèvement généralisé et d'une déchirure ;



L'oeuvre a été protégée sur tout la surface en posant un papier fin provisoire (papier japonais) à la colle de pâte (mélange de colle de peau, de farines et de mucillage de graines de lin qui est utilisé comme adhésif de rentoilage : ce mélange permet d'obtenir un pouvoir collant tout en restant souple grâce à l'amidon contenu dans les farines et peu pénétrant) ; cette colle de pâte est diluée à l'eau pour poser la protection : celle-ci protège l'oeuvre pendant toutes les opérations qui vont suivre, notamment les écailles chevauchantes et la zone de la déchirure.


Une fois protégée, l'œuvre peut être démontée du châssis (il ne s’agit pas du châssis d’origine et celui-ci est très fragile : ses assemblages sont non jointifs et non alignés, la toile n’est plus maintenue sur le châssis que par quelques points d’accroches) : ce châssis sera remplacé par un nouveau support plus performant.

Nous avons nettoyé le revers de l’œuvre et mis à plat les déformations importantes en travaillant au revers de la toile (la toile est maintenue sur un plan de travail par des agrafes). Un apport contrôlé d’humidité couplé à l’action de la pression a été nécessaire pour résorber les déformations.

La déchirure a été remise dans le plan, les extrémités des fils ont été collés puis renforcés par des fils fins (adhésif vinylique VR200). Un tissage de renfort a été ensuite réalisé pour consolider le revers de la déchirure.


L’œuvre est été mise en extension provisoire pour parfaire la remise dans le plan : cette mise en extension a nécessité de collage périphérique d’un tissu non-tissé polyester fin (Résine acrylique Plextol B500 épaissie) tendu sur bâti provisoire : la protection provisoire de la face pourra être démontée (en cours) pour travailler à plat sur la couche picturale : l’objectif du travail actuel est d’alléger le vernis très épais qui bloque les écailles qui se chevauchent et s’enchevêtrent dans la résine.

Courbet, Corot, Rousseau & Boudin


Huile sur toile sbg COROT : peinture transposée sur toile (gaze et enduit de transposition). 40,2 x 32 cm.






Huile sur bois sbg "TH. Rousseau" 32,2 x 46 cm. Panneau de contreplaqué acajou de 1 cm d'épaisseur (3 couches de bois). Le tableau a été anciennement cartonné dans un journal (traces d'inscriptions).






Huile sur toile sbd, en rouge : "G. Courbet". 45,8 x 54,9 cm. La toile porte les traces d'un refixage généralisé à la cire-résine ; elle est tendue sur un châssis à clé moderne.












Huile sur toile sbd : "G. Courbet". 60,5 x 40,8 cm. La toile, portant la marque du fabriquant OTTOZ est montée sur un châssis fixe à écharpe grâce à des bandes de tension. Le vernis est oxydé, et la toile est déformée (enfoncements et déchrirures).

Ange Ottoz, successeur de Belot (anciennement rue de l'arbre Sec), est le premier marchand de toiles d'une dynastie importante : Alexis Ottoz (installé plus tard rue ND de Lorette, fournisseur et marchand de Courbet, qui exposa en 1872 la Femme couchée de Courbet refusée au Salon) et Jérôme Ottoz (installé au 22 rue La Bruyère, fournisseur de Corot, Fromentin, dont on possède un portrait par Degas). Les oeuvres portant le même cachet "Ange Ottoz, rue de la Michodière, n°2" sont datées de 1830 (Dubuffe), 1855 (Fromentin) jusqu'en 1868 (Corot). A ce marchand de la rue de la Michodière, la Fontaine Gaillon va succéder dans un premier temps (Albums de Corot, 1868) puis Henry à partir de 1884.












Huile sur bois signée et datée : BOUDIN 90.


La vie d'un grand artiste tel que Boudin c'est comme ses paysages : «c'est fait avec rien », et c'est très beau.



La couche picturale souffre d'une zone importante de soulèvements (pulvérulence de la préparation balnche).