ETUDE DU DEVELOPPEMENT DES CLIVAGES DANS LES PEINTURES DES ANNEES CINQUANTE

Plusieurs œuvres datant de la fin des années cinquante ont montré ces dernières années une certaine propension au clivage : la couche picturale appliquée par le peintre s’est soulevée, recroquevillée, décollée de la toile de façon plus ou moins spectaculaire.

Détail d’un soulèvement de couche picturale sur une œuvre de Pierre Soulages (1959)







Ces soulèvements de couche picturale sont souvent attribués à la technique du peintre (peintures épaisses) mais des recherches récentes, menées à l’Institut national du Patrimoine puis grâce au soutien financier du Centre national des Arts Plastiques ont montré que l’épaisseur des couches picturales n’était pas la seule cause de ces défauts d’adhérence. En effet, les matériaux utilisés par les artistes, en particulier ceux se fournissant chez Lefebvre-Foinet, constituent une source d’altération.








De nombreux artistes ont utilisés des toiles pré-enduites à base de blanc de plomb. A cause de l’interdiction de ce pigment en 1948, les fournisseurs de matériaux pour artistes n’arrivaient plus à obtenir les qualités optimales du pigment. Pour les artistes qui réalisaient des peintures épaisses et non mates, des « préparations grasses » à bases de blanc de plomb étaient nécessaires : pour ces peintures, des défauts apparaissent : la préparation subit une transformation chimique, où le carbonate de plomb (blanc de plomb) réagit avec les acides gras de l’huile pour former un carboxylate de plomb. Ce « savon métallique » se forme préférentiellement à l’interface préparation/couche colorée et entraîne un décollement de la couche picturale.





Quelles sont les solutions de conservation et de restauration ?




Les refixages réalisés pour un certain nombre d’œuvres ont été des échecs : sans prendre en compte la présence de savon métallique, les adhésifs adhèrent seulement quelques mois et le phénomène risque de s’accélérer et de s’étendre les années suivantes.
Des tests d’adhésifs ont été effectués en laboratoire. L’utilisation d’adhésifs en solution dans les solvants proches de zones de solubilité des carboxylates donne de bons résultats pour les œuvres qui ont été traitées ; mais il est essentiel que le restaurateur en charge de ces œuvres puisse mettre en évidence la présence ou non de savon métallique pour adapter son traitement.





Traitement d’un soulèvement : l’adhésif est appliqué en quantité minimale à la seringue puis la couche picturale est aplanie à l’aide d’une spatule souple.




Quelques recommandations aux collectionneurs
Afin de limiter le développement de ces altérations, il est essentiel de réunir les conditions de conservation pour ralentir le phénomène. Les œuvres doivent être transportées, stockées et exposées dans des espaces où l’humidité relative est stable, autour de 55%HR. Les chocs hygrothermiques doivent être limités au maximum, puisqu’à chaque nouvelle fluctuation, les savons métalliques réagissent et altèrent l’adhérence entre les deux couches de peinture.

Sources :



L’étude des problèmes d’adhérence des peintures des années cinquante a été focalisée sur le cas des œuvres de Pierre Soulages de 1959. L’ensemble des recherches effectuées dans ce cadre peut être consulté dans les mémoires et articles suivants :

HELOU - DE LA GRANDIÈRE (Pauline), LE HÔ (Anne-Solenn), MIRAMBET (François), “Cleavages in paintings by Pierre Soulages at the end of 1950’s: a case study”, Contribution for Preparation for Painting: the artist’s choice and its consequence, ICOM-CC, May 31st and June 1st 2007 , British Museum, London, Archetype Ed, 2008.

HELOU - DE LA GRANDIÈRE (Pauline), « La restauration de ‘Peinture, 114 × 165 cm, 16 décembre 1959’ de Pierre Soulages », in patrimoines, revue de l’Institut national du patrimoine, n°2, 2006.

LA GRANDIERE (Pauline de), Technique classique - Problèmes contemporains, étude et traitement de Peinture, 114 x 165 cm, 16 décembre 1959, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Mémoire de fin d’études, Institut national du Patrimoine, septembre 2005 (Les illustrations en sont issues).

LA GRANDIERE (Pauline de), Conservation report on Peinture, 8 décembre 1959 by Pierre Soulages, Kunstsammlung Nordrhein Westfalen K20-K21 – Düsseldorf, May-July 2004, rapport de stage, Institut national du Patrimoine, juillet 2004.




Pauline de La Grandière est restauratrice de peinture, diplômée de l’Institut national du Patrimoine (IFROA). Reconnue par les Musées de France et les Monuments Historiques, ses recherches récentes sur les œuvres de Pierre Soulages ont permis de comprendre les processus d’altération des peintures des années cinquante et d’obtenir des solutions de restauration.




Pauline Helou-de La Grandière
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